En préambule, voici la note de départ à ce séminaire de Pascale Cassagnau ainsi que les notes qu’elle avait préparée pour cette première séance. Suit un court compte-rendu de cette séance du 18 octobre. Ceci sert à préparer la séance du jeudi 6 décembre à laquelle sera invité Jean-Charles Masséra. Esquisses pour une enquête à venir : La recherche vue de l'Etna* (proposition pour un séminaire à l'ESACM / cinéma – littérature) Dans le domaine du spectacle vivant, de la musique et des arts plastiques, la notion de programmation (et ses programmes internes) désigne le temps de la prospection aussi bien que le moment in process de la création. Les protocoles de partition et de programme entrent dans la constitution de tout champ de recherche comme laboratoire et de ses outils conceptuels. La littérature contemporaine fait de ses processus de recherche, de ses méthodologies en acte, le corps même du texte et de la recherche du roman, en revisitant des figures cartographiques. Jean Echenoz déclarait récemment à propos de ses méthodes de travail : « J'adore l'étape de la documentation ! On sait qu'on travaille, mais sans avoir besoin d'écrire. On a sa conscience pour soi ! Au de-là de la maniaquerie de recopier, il y a le plaisir d'apprendre des choses, même quand on sait qu'on se servira de très peu. » Cette proposition de séminaire ( Temps 1) consisterait à cartographier les notions opératoires pour la recherche artistique, en une traversée horizontale des différents champs de la création et à partir des territoires du cinéma et de la littérature, en dessinant des processus de création (PC), des processus d’écriture (PE), des processus de recherche (PR), afin d'étudier l'économie des œuvres, leur généalogie, leur devenir, sous l'angle de la question de la recherche, de son émergence, et de son devenir, davantage qu'à partir de l'exposition des objets produits. Il s'agira de revisiter les différents champs de la création, en prenant des œuvres, des projets, des écrits comme objets représentatifs des modes de conception et de travail propres à la recherche contemporaine, afin d’en exposer les processus de cheminement davantage que l’évocation d’un résultat final, pour « exposer » la recherche au travail, dans ses hypothèses mêmes. Le séminaire sera conçu comme le Temps 1 préparatoire pour rassembler et travailler la matière même de la publication (Temps 2) « La répétition générale/ 40XP », ouvrage collectif pensé et écrit par les étudiants, étudiants chercheurs et chercheurs participant à ce séminaire, qui interrogera des problématiques afférentes à la recherche: Projet, Protocole, Processus, Programme, Production, Post-production, Partition, Prototype, Potentiel, Problème, Présent, Principe, Prémisses, Pourparlers, Plateau, Pensée, Pragmatique, Paradigme, Plate-forme, Parleuses, Page, Programmatique, Promenade, Publier, Position, Prolégomènes, Propédeutique, Politique, Polygraphe, Poussière, Poudre, Parole, Parenthèse, Parcours, Process, Prospection, Personnage, Page, Poétique, Poster. Interroger ces problématiques désigne d'une une autre façon et redéfinir la raison allographique de l'art, ses règles du jeu, les jeux et formes à adaptation variable des œuvres à caractère performatif à ré-activer, ré-interpréter, ou post-produire, la délégation du geste artistique, la conception de l'auteur comme artiste pluriel et intermittent. A titre d'hypothèses : 5 séances 2018-2019 18 octobre 2018 : Introduction Pascale Cassagnau. Projection The Swimmer. 6 décembre 2018 : Protocole (d’enquêtes) /Jean Charles Massera 7 mars 2019 :Performance,Politique /Dora Garcia, Segunda Vez (2018) 4 avril 2019 : Protocole (partition) /Frank Leibovici Mai 2019 : Chloé Delaume, personnage ( sous réserve) Eté 2019 : Relire Roubaud *En hommage ici au texte de Jean Epstein, Le cinématographe vu de l'Etna ( 1926) Ouverture « Nous avons hésité à publier ces entretiens ainsi. Nous savons que nous prenons un risque en les laissant exactement tels qu'ils ont été dits.Ils fourmillent de redites, de détours, de phrases inachevées, laissées en suspens ou reprises plus tard, sur un autre mode, un autre ton, de hiatus. La démarche est lente, incroyablement hésitante et tout d'un coup extrêmement rapide. Nos deux discours se chevauchent, se piétinent, s'interrompent l'un l'autre, se répondent comme en écho, s'harmonisent, s'ignorent ».( Marguerite Duras, Xavière Gauthier, Les Parleuses) « D’où vient l’image et où va l’image, investie par des formes surajoutées sur les vues ? Faut-il entendre avec notre œil un autre discours qui serait égrené par ces ajouts, appelés ciselures par l'artiste? Selon quelles modalités le son développe- t- il, dans un no man’s land extra filmique, ces strates narratives sinueuses et hautement réalistes ? » (Isidore Isou, Traité de bave et d’éternité, 1951) « Je ne m’approprie pas les références, je les joue dans l’ordre de la représentation, comme traces, souvenirs, spectres à réinventer » (Benoît Maire) « Il se peut que la partition ne soit ni plus ni moins qu’un schéma de connexion. (Michael Nyman, Experimental Music) « Les mondes des signes, les cercles de la Recherche se déploient donc d'après des lignes du temps, véritables lignes d'apprentissage ;mais sur ces lignes, ils interfèrent les uns avec les autres, réagissent les uns sur les autres ». (Gilles Deleuze, Proust et les signes) p.35 “L’interdisciplinaire, dont on parle beaucoup, ne consiste pas à confronter des disciplines déjà constituées (dont, en fait, aucune ne consent à s’abandonner).Pour faire de l’interdisciplinaire, il ne suffit pas de prendre un “sujet” ( un thème) et de convoquer autour deux ou trois sciences. L’interdisciplinaire consiste à créer un objet nouveau, qui n’appartienne à personne” (Roland Barthes, « Jeunes chercheurs »,Communications, 1972,n°19) « Un film de Béla Tarr, ce sera désormais un assemblage de ces cristaux de temps où se concentre la pression « cosmique ». Plus que toutes ses images méritent d’être appelées des images-temps, des images où se rend manifeste la durée qui est l’étoffe même dont sont tissées ces individualités qu’on appelle situations ou personnages. » (Jacques Rancière, Béla Tarr, Le temps d’après, 2011) « Je ne séparerai pas ce qui est la part de la littérature de la part de l'image. Une image n'est jamais simplement une présence, ce que cette présence montre, et ce qu'on peut dire sur elle. Par conséquent, la question n'est jamais simplement celle de la force immédiate d'une image. » (Jacques Rancière, La méthode de la scène, p.96) Les quarante problématiques fondamentales de la création contemporaine sont autant d'entrées possibles pour étudier l'économie des œuvres, leur généalogie, leur devenir, sous l'angle de la question de la recherche, de son émergence, et de son devenir davantage qu'à partir de l'exposition des objets finis. Interroger ces problématiques désigne d'une une autre façon et redéfinir la raison allographique de l'art, ses règles du jeu, les jeux et formes à adaptation variable des œuvres à caractère performatif à ré-activer, ré-interpréter, ou post-produire, la délégation du geste artistique, la conception de l'auteur comme artiste pluriel et intermittent. Revisiter les différents champs de la création, en prenant des œuvres, des projets, des écrits comme objets représentatifs des modes de conception et de travail propres à la recherche contemporaine, afin d’en exposer les processus de cheminement davantage que l’évocation d’un résultat final. Décliner un abécédaire paradoxal à une seule consonne P permettrait ainsi de décliner quelques variations autour de notions opératoires pour la recherche artistique, en une traversée horizontale des différents champs de la création et des sciences, en dessinant des processus de création (PC), des processus d’écriture (PE), des processus de recherche (PR). Interroger ces notions revient à témoigner d’une recherche au présent et de démarches artistiques en devenir. Les trente- huit entrées de l’abécédaire systématique à une seule consonne p serait ici l’occasion par ailleurs d’un voyage prospectif dans les sources de recherches en cours, pour explorer leurs points de référence, leur matière préparatoire : autant d’éléments assez rarement donnés à parcourir, à lire. La littérature contemporaine fait de ses processus de recherche, de ses méthodologies en acte, le corps même du texte et de la recherche du roman, en revisitant des figures cartographiques. Ainsi l’écrivain Diane Meur peut-elle préciser à propos des sept cent soixante –cinq histoires qui composent La Carte des Mendelssohn : « D’où viennent les idées.. Peut-être du désordre. De la collision entre plusieurs thèmes qu’un esprit ordonné ne placerait pas ensemble, ou de plusieurs activités que les nécessités du quotidien nous obligent à mener de front. En l’occurrence, mes recherches sur les deux Mendelssohn ont coïncidé avec un problème de dispersion d’esprit- dû, je crois, à un usage trop intensif d’Internet. Au lieu de lutter contre ce problème, j’ai décidé d’en faire mon mode opératoire : je m’éparpillerais passionnément dans cette colossale descendance, je suivrais à sauts et à gambades toutes les perspectives qu’elle m’indiquerait, toutes les associations qu’elle m’inspirerait. Ainsi est née l’idée du roman tel qu’il se présente.» Avec son Traité du Zen et de l’entretien des motocyclettes, l’écrivain américain Norbert M. Pirsig s’attache à faire de la description de la mécanique de précision que constitue l’entretien des motocyclettes un véritable programme pour l’écriture, pour formuler des hypothèses et pour parvenir à la résolution d’un problème posé par la pensée. « Un simple spectateur ne verra que l’effort physique accompli par le mécanicien, et il s’imaginera que la réparation est une question de muscles. Mais ce n’en est là que l’aspect le plus sommaire. L’essentiel, c’est, de loin, l’observation attentive et la réflexion rigoureuse. Voilà pourquoi les mécaniciens semblent si taciturnes, si Renfermés, quand ils s’affairent sur un moteur. Ils n’aiment pas qu’on leur parle, parce qu’ils se concentrent sur des images mentales, sur des enchaînements d’idées. C’est à peine s’ils regardent la moto elle-même. L’expérience qu’ils sont en train de mener fait partie d’un programme, dont le but est d’accroître leur connaissance de la moto en question et de la comparer à la motocyclette idéale qu’ils ont dans l’esprit. Ce qu’ils contemplent, c’est toujours la structure interne.» Théorème vivant constitue pour le mathématicien Cédric Villani un tableau de bord de la recherche, un journal intime, une autobiographie réflexive, à travers laquelle il décrit aussi bien son quotidien que la genèse non rectiligne d’une avancée mathématique.( ) Composé de quarante- quatre chapitres multipliant des registres narratifs diversifiés, Théorème vivant introduit le lecteur aussi bien aux récits complexes de la spéculation mathématique qu’à l’exposé d’une recherche de morceaux musicaux qui participent à la recherche scientifique elle-même. Le chapitre vingt-huit, écrit à Princeton, le 14 avril 2009, est la chronique d’une nuit ordinaire consacrée à la recherche solitaire d’un théorème. Cédric Villani décrit ce moment comme la mise en place d’un dispositif de cérémonie : « Ce soir, je m’apprête encore à une longue séance de tête à tête avec le Problème. La première étape consiste à faire chauffer de l’eau. » (..) Et de la musique, s’il vous plaît, ou je meurs » L’écoute compulsive de chansons ou de compositions musicales en boucles répétitives (les chansons de Catherine Ribeiro notamment, Ribeiro, Ribeiro, Ribeiro) participe du processus de travail. Les boucles actives de morceaux musicaux choisis avec un grand soin constituent des sortes de prothèses qui appareillent la pensée. Le mathématicien fait précéder le moment de la recherche pure de la mise en place du dispositif musical précis qui va porter sa pensée tout au long du cheminement cognitif. Il précise : « Pour dénicher de nouvelles musiques, il ne faut négliger aucune piste. Concerts, forums de discussion, sites de musique en libre accès.. et bien sûr l’exemplaire webradio Bide&Musique, qui m’a permis de découvrir Evariste, Adonis, Marie, Amélie Morin, Bernard Brabant ou Bernard Icher, les pistes de décollage sur les Champs- Elysées et les hymnes disco à la gloire de Moscou. En recherche, c’est pareil : on explore tous azimuts, on est à l’affût, on écoute tout, et puis de temps en temps on a un coup de foudre et on se lance corps et âme dans un projet, on se le répète des centaines et des centaines de fois, et plus rien d’autre ne compte, ou si peu. » Le chapitre vingt-huit restitue en des listes précises de titres de chansons le territoire de son domaine musical. Les films de Wang Bing, Chantal Akerman, Apichatpong Weerasethakul posent une triple nécessité critique: la prise en compte de la nature transdisciplinaire et transculturelle des films, la mise en exergue d’ une autre cartographie du cinéma contemporain, ainsi que le déplacement des limites temporelles et spatiales de leur « exposition-diffusion enfin les nouveaux modes de production des films, proches en outre de l’économie composite et croisée de la création contemporaine. Ces trois axes principaux pourraient correspondre à des projets de recherche convergeant vers la question du cinéma aujourd’hui. Ces axes de recherche pourraient constituer des chantiers expérimentaux qui configurent une même question: celle du territoire des images comme lieu de flux complexes, de représentations, de langage, de rencontres, d’utopies, que les films travaillent à déplacer à leur tour. Une économie générale de la création filmique en cours de redéfinition, qui affecte aussi bien la nature des films que la place du spectateur, caractérise le cinéma contemporain. La diversité croissante des supports et la dimension temporelle des procédures de création démultiplient les surfaces d’inscription, introduisant des courts-circuits entre le temps de la production et le temps de la diffusion. Ces déplacements multiples concernent également le régime traditionnel de la propriété intellectuelle, l’archivage et la réception des œuvres filmiques. Que ce soit dans le domaine de l'art ou de la littérature, chez Gertrud Stein, Truman Capote, James Ellroy, Don DeLillo ou chez le cinéaste polygraphe Arnaud des Paillères, « l'autobiographie de tout le monde » expérimente une pensée d'archives vernaculaires ou publiques qui devient un mode d'écriture, documentant aussi bien le récit narratif que l'espace de l'oeuvre. Ce que manifestent les films de Chris Marker, Lionel Rogosin, Pier Paolo Pasolini, ou Tariq Teguia- films documentaires et documentés- c'est leur capacité à traverser l’histoire, à se ressaisir de la vérité et de la réalité, non comme visées dernières mais bien plutôt comme des outils, des réserves de formes, pour entreprendre un trajet, une trajectoire, un chemin à travers des géographies politiques complexes. Interroger des processus de recherche consiste à s’interroger sur le « faire œuvre », où l’écologie de l’œuvre est retracée à partir de ses contours, observées de l'extérieur, depuis les archives, les documents, les études, les prototypes. Cela implique également d’interroger indirectement un lexique en commun , comme perspective méthodologique: enquête, chronique ,description, interprétation ,modélisation, méthode, indexation, inventaire, repérage, traduction, thésaurus, déchiffrement, transcription, numériser, contrat d'acquisition, contrat de production, juridiction, description- re-description conversion, dispositif, représentation, récits, fictions. - Roland Barthes, Punctum, Poussière du temps, Poudre des images. A propos de la notion de préparation du roman à l'oeuvre chez Roland Barthes, l'écrivain Colette Fellous écrit : « L’utopie du roman se transforme soudain en recherche presque infinie de sa préparation. En aventure. Et si ce présent, dit-il encore, ne peut se capter que par notations, il les nomme parfois Incidents, ces moments discontinus de la réalité ne pourraient jamais se métamorphoser en roman. » ( Colette Fellous, La préparation de la vie, Gallimard, 2014, p.170.) Dans un texte programmatique, Roland Barthes nomme ses « Incidents » des collections de moments d’une pragmatique de l’écriture, participant d’une recherche non unifiée, discontinue, lorsqu’il écrit : « Je me mets dans la position de celui qui fait quelque chose et non plus de celui qui parle sur quelque chose : je n’étudie pas un produit, j’endosse une production ; j’abolis le discours sur le discours ; le monde ne vient plus à moi sous la forme d’un objet, mais sous celle d’une écriture, c’est – à- dire d’une pratique : je passe à un autre type de savoir (celui de l’amateur). Position, production, pratique : tels sont les marqueurs d'un programme que l'écrivain s'invente, définissant par ailleurs les moments qui engagent la préparation du roman. Dans une lettre adressée à Philippe Sollers à propos de la sortie de son livre H, Roland Barthes l'horizon d'un programme de pensée, lorsqu'il écrit : « En même temps vous prenez en écharpe, comme des citations, les anciennes beautés du langage; c'est très impressionnant et il me semble que quelles que soient les résistances à prévoir, votre texte est un météore réel tombé du Programme, quelque chose donc qui va faire bouger les questions. » Lettre de Roland Barthes à Philippe Sollers du 26 janvier 1973, in Philippe Sollers, L'amitié de Roland Barthes, Le Seuil, 2015, p.105 Principe épistémologique, le Programme a ici la force d'une allégorie. «Il faudrait alors entendre d'une plus petite oreille la proposition l'oeil du non-spécialiste R.B. N'est pas un œil cinématographique, mais c'est un œil filmique, œil sensoriel qui, à l'intérieur du fragment, voit et entend, sent la composition musicale du film (musique des sens plutôt que des sons), la racine secrète extatique de son montage: l'Idée du film sous son aspect extatique, hors temps logique et peut-être même hors durée ( la vision fulgurante, instantanée, de cette durée). Œil multiplement sensoriel, aussi bien purement visuel qu'oreille, tact ou odorat, capable de sentir dans l'image jusqu'à un certain «raccord à la poudre de riz». Oeil librement sensoriel qui a la puissance de cueillir immédiatement dans l'image (aux vitesses d'un rapt) la poussière des événements disséminés dans le film et qui sont dans le photogramme comme «la trace d'une distribution supérieure dont le film coulé, vécu, conté, animé, ne serait en somme qu'un texte, parmi d'autre.» (Raymonde Carasco, « L'image-cinéma qu'aimait Roland Barthes (Le goût du filmique ») Raymonde Carasco met en exergue la pensée et l'écriture d'un Roland Barthes extraterritorial, inattendu, quasi inconnu. Cette digression est un libre écho au cheminement même de la pensée du filmique de Raymonde Carasco à travers sa lecture des écrits de Roland Barthes sur le cinéma. Dans son texte «L'image-cinéma qu'aimait Roland Barthes. Le goût du filmique », Raymonde Carasco désigne la quintessence des analyses de l'écrivain sur l'essence du filmique lorsqu'elle écrit : «Hors image-mouvement, hors image- temps, hors image-durée même, le photogramme est entièrement non-cinématographique. Le filmique serait donc radicalement hors cinéma». Véritable « être théorique », et ayant pour fondement le « Troisième sens », le filmique est à venir. Dans le final « Le troisième sens », Barthes précise :«Contraint d’émerger hors d’une civilisation du signifié ; il n’est pas étonnant que le filmique ( malgré la quantité incalculable de films du monde) soit encore rare ( quelques éclats dans S.M.Eisenstein, peut-être ailleurs ?) au point que l’on pourrait avancer que le film, pas plus que le texte, n’existe pas encore. » Si le punctum est piqûre chez Roland Barthes, – on redonne ici sa définition extraite de La Chambre claire. Note sur la photographie- :« car punctum , c’est aussi :piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure- et aussi coup de dés. Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui en elle, me point ( mais aussi me meurtrit, me poigne »), le contrepoint est chez Raymonde Carasco un art des lectures contrapunctiques aléatoires, à travers ses lectures de textes, de films, d’images et de sons de Roland Barthes, Joe Bousquet, Eisenstein, Artaud, Vertov, Bellmer, Godard, Poe notamment. Le contrepoint est la mise en œuvre théorique de la figure du « Zigzag » qui brise le cadre, défait l’orthogonalité des causalités logiques (dans Le Portrait Ovale et Hors-cadre Eisenstein). Dans son texte « L’image-cinéma qu’aimait Roland Barthes (le goût du filmique) », la cinéaste, philosophe et essayiste Raymonde Carasco décrit ainsi le double programme esthétique que s’assignait Roland Barthes, quant à sa pensée du cinéma et de sa réception dans l’espace expérimental que constitue le texte publié, articulant de manière singulière texte et image. Le photogramme comme élément fondamental du programme d’analyse sémiologique que s’assignait Barthes dans Le Troisème sens. Chez Roland Barthes, le photogramme ne renvoie à aucune mise en exergue d’un signifié ni à une approche strictement visuelle. Il est en revanche doté d’une capacité à désigner des temporalités propres – bien que hors – mouvement-, des flux, des associations, des traces de traces. Le photogramme est le lieu de la réversibilité, du sens obtus, du détail. « Musique hors-musique », cinéma hors –cinéma, désoeuvré : le texte de Raymonde Carasco met en exergue – à partir de cette individualité théorique, le Troisième sens- la forme musicale qui défait et interroge l’image. Toute l’œuvre de Roland Barthes est ponctuée, traversée par une attention très précise, par des analyses très nombreuses et riches sur l’écoute, le grain de la voix, la musique, l’interprétation, l’enregistrement et l’auto-enregistrement. La musique joue chez Roland Barthes le rôle d’un système-expert, rassemblant en les dépassant, les différents champs esthétiques. Michel Butor, Procédés, Partition, Personnage, Principes d'écriture, Page, Pluriel, Polyphonies Michel Butor est l'écrivain des systèmes, des procédés, des programmes qu'il se donne à lui -même pour écrire, pour architecturer ses récits , mais ce sont aussi des programmes qu'ils donnent à ses personnages. Dans Mobile (1962), Michel Butor a dessiné un réseau quadrillé à l'intérieur duquel se promènent les personnages qui apparaissent dans le récit de façon toujours différente , sollicitant ainsi le lecteur et le narrateur a collaborer entre eux. Dans Mobile, il y a autant de structures formelles que de récits. La page et le récit sont des réseaux mobiles. « Je suis de plus en plus fasciné par le pluriel. Ce n'est pas le singulier qui est premier pour moi, ce n'est pas l'individu, c'est le pluriel et c'est à l'intérieur du pluriel que le singulier va se condenser en quelque sorte. » (p.189) « Dans Mobile, les personnages apparaissent de diverses façons. Le livre est constitué d'abord par une sorte de quadrillage. C'est d'abord une exploration de l'espace mental. C'est un espace habité. Le seul fait qu'il y a exploration d'un espace implique déjà deux personnages qui collaborent, l'auteur et le lecteur, l'auteur qui donne des points de référence. » ( p.187) L'établissement des relations, la mesure des distances entre les mots, entre les personnages, l'extrême attention portée à la syntaxe, participe de cette montée du suspens que le récit emprunte au roman policier. Le calcul exact de la relation entre la proximité et distance en dont les figures principales. La polyphonie est une autre figure de l'architecture profonde qui qualifie écriture de Michel Butor.. Dans sa pièce radiophonique 6 810 000 litres d'eau par seconde, pièce sonore qui existe aussi en tant que texte publié comme une partition, l'écrivain a choisi de multiplier les pistes – pistes narratives, pistes sonores. La partition comporte trois pistes : le texte qui décrit Chateaubriand devant les Chutes du Niagara , le texte qui expose le discours d'un speaker pour la visite des Chutes, le texte qui consigne les conversations de visiteurs anonymes. Il décrit ainsi ce principe polyphonique : « Il y a tout un échantillonnage de procédés canoniques qui premièrement mettent ce texte en mouvement, lui donnant une vitesse, et qui , deuxièmement vont le presser comme un citron, vont faire sortir ce matériel linguistique d'autres choses. » Dans cette œuvre , Michel Butor fait se croiser univers sonore et univers visuel. « Oui . Alors là où j'en suis j'ai une suite de parcours dans un univers sonore, une suite de trajets dans un univers sonore , certains trajets constitués par des chaînes de sons. » Il explore en effet à la fois la région géographique de Buffalo dans lequelle se situent les Chutes du Niagara, il explore aussi les régions intérieures du texte, le sien et celui de Chateaubriand. Le ryhtme et le travail du texte donnent l'impression que les mots coulent les uns vers les autres. En outre, cette mise en abîme résulte du procédé de la description d'une description. - Georges Perec, Penser Classer , Hachette, 1985 Comment je pense ?Note sur ce que je cherche, Le Puzzle Tout au long de son œuvre Georges Perec n'a cesse de s'interroger sur le sens de la recherche qu'il mobilisait dans son travail d'écrivain ainsi que sur la nature de la pensée, sur ses mécanismes propres. La figure du puzzle finit par devenir un moteur de recherche, et la forme que prend le récit, renvoyant aussi à d'autres figures. Il écrit : « Le puzzle affleure, la fragmentation aussi. Comme si l'interrogation déclenchée par Penser/Classer avait mis en question le pensable et le classable d'une façon que ma pensée ne pouvait réflechir qu'en s'émiettant, se dispersant, qu'en revenant sans cesse à la fragmentation qu'elle prétendait vouloir mettre en ordre. » Plus loin , Perce précise : « Où est la pensée ? Dans la formule ? Dans le lexique ? Dans l'opération qui les marie ? » « Comment je pense quand je pense ? Comment je pense quand je ne pense pas ? En cet instant même, comment je pense quand je pense à comment je pense quand je pense ? » - Olivier Bomsel , Protocoles éditoriaux, qu'est-ce que Publier ? Armand Colin, 2013 Dans son ouvrage sur les Protocoles éditoriaux, le chercheur Olivier Bomsel étudie les opérations symboliques qui président et résultent à la fois des protocoles éditoriaux, posant de véritables enjeux pour la littérature. Publier, c'est aussi une économie symbolique, des opérations, des processus, qui placent le livre dans la logique d'un objet-média produit, au sein, d'une écologie et d'une économie de la production littéraire. A propos de l'acte d'éditer, Olivier Bomsel écrit : « Il se compose comme n'importe quelle transformation industrielle, d'étapes en étapes de sélection, de raffinage, de calcul de risque, de mise en contexte, d'élaboration de gamme, de signalement, de dévoilement, d'exhibition, d'évaluation critique, de distribution, qui toutes induisent des transactions économiques complexes, et concourent au rapprochement du public, à la valeur éditoriale à l'effet de sens ». - Frank Perry, The Swimmer (1966, 1h34) Programme, Piscine The Swimmer met en scène un personnage incarné par Burt Lancaster sans véritable identité, qui du début à la fin du film est filmé en train de courir en maillot de bain. La trajectoire filmée va ici d'un n »ant à un autre néant. Un personnage de fiction s'invente un protocole têtu et tenace rien de peut le faire déroger à ce principe.« The Swimmer » programme rentrer chez lui en passant par les piscines, à la nage, à travers les non lieux que sont les abords des routes, les seuils de passage d'un jardin à l'autre, d'une propriété à une autre. Le personnage répète « I Am Swimming Home ». Dans son roman Nageur de rivière l'écrivain américain Jim Harrison décrit ces non- lieux, ces lieux sans qualité que représentent les propriétés toutes identiques qui ne qualifient ni l'espace urbain , ni l'espace rural mais une banlieue infini, étirée : A une dizaine de kilomètres vers l'aval et la ville , les berges de la rivière se couvrirent de luxueux domaines aménagés par les hommes riches des environs. L'un d'eux , un concessionnaire automobile, avait engagé Thad pour créer un vignoble sur ses terres. Les riches habirants du Midwest ont souvent la passion de produire un vin parfaitement médiocre, sinon imbuvable.( p.173) Chez Frank Perry, le personnage dont nous ne savons pratiquement et dont certains éléments du passé ne nous sont dévoilés qu'au fur et à mesure de sa progression, est pris dans la « répétition tournée vers le futur » selon l'expression de Gilles Deleuze dans Proust et les signes, une « véritable répétition de l'issue ». Le film « commence ( ou ne commence pas) dans un après-midi, lorsqu'un homme – Ned Merryl- sort d'un bois en maillot de bain pour plonger dans une piscine. La scène se passe dans le Connecticut. Ensuite, le film multiplie cette première scène, le fillm n'est que cette scène répétée : le personnage va de piscine en piscine, de bassin en bassin, de cocktail en cocktail, de barbecue party en barbecue party. Le film tisse une allégorie sur la construction sociale que représente l'american of life. La piscine est ici une hétérotopie, un lieu hors de tout lieu, une scène sociale et politique, comme dans les films Deep End de Skolimovski et Palombella Rossa, de Nanni Moretti. Données bibliographiques : Diane Meur, La Carte des Mendelssohn, Sabine Wespieser, 2015. Diane Meur, « Le fleuve Mendelssohn, Entretien avec Diane Meur, propos recueillis par Norbert Czarny, » in La Quinzaine Littéraire, n°1135, septembre 2015, p.3. Robert M.Pirsig, Traité du Zen et des motocyclettes, Points Seuil, 1978, Cédric Villani, Théorème vivant, Grasset &Fasquelle, 2012. Au sujet des homologies étroites qui existent entre l’écoute systématique de la musique et les processus de la recherche scientifique, le mathématicien écrit : «Parfois les deux mondes communiquent. Certaines musiques, qui m’ont soutenu pendant le travail, sont pour toujours associées à des moments forts de ma recherche. » Roland Barthes, Incidents, Le Seuil, 1987, 4ème de couverture. Dans La Préparation de la vie, chronique du séminaire avec Roland Barthes qu’elle suivit dans les années 70, Colette Fellous note : « L’utopie du roman se transforme soudain en recherche presque infinie de sa préparation. En aventure. Et si ce présent, dit-il encore, ne peut se capter que par notations, il les nomme parfois Incidents, ces moments discontinus de la réalité ne pourraient jamais se métamorphoser en roman. » Colette Felllous, La préparation de la vie, Gallimard, 2014, p.170. Concernant la production du savoir scientifique et l’économie de la recherche personnelle des savants au travail, on lira également : Françoise Waquet, L’Ordre matériel du savoir, Comment les savants travaillent XVIème-XXIème siècles, CNRS, 2015. Et Jean-Claude Passeron & Jacques Revel, Penser par cas, EHESS, 2005. Concernant Jacques Roubaud, on lira : Traduire, Journal, Nous édition, 2000 Poétique, Remarques, Poésie, mémoire, nombre, temps, rythme, contrainte, forme, etc., Le Seuil, 2016 Peut-être ou la Nuit de dimanche, Le Seuil, 2018 La séance avec Pascale Cassagnau nous a permis de réfléchir sur la notion de recherche dans le processus d’écriture d’une œuvre qu’elle soit filmique ou littéraire. Le moment du travail de l’élaboration d’une œuvre permet « d’ouvrir un temps » qui à un moment donné oublie l’objet de la recherche qui est l’œuvre et qui peut exister en tant que tel. Ce moment n’est pas voulu par l’auteur mais est souvent constaté à posteriori ou du moins en retard. Comment le travail de recherche se définit comme tel ? Comment l’auteur décide à cet instant du travail ? Comment réagit l’auteur à l’imprévisible de ce temps spécifique ? Cet espace entre l’idée et l’œuvre fait partie de la construction de l’œuvre mais il peut aussi être vu en tant que tel. Comment ? C’est un moment de latence, un espace qui permet l’indéfini et qui peut prendre une multitude de chemins se construisant organiquement. L’œuvre entraine la recherche mais elle ne définit pas sa méthode. Nous avons vu le film de The Swimmer de Frank Perry, sorti en 1968. "The Swimmer" présenté par Jean-Baptiste Thoret https://www.youtube.com/watch?v=_B-mL84iZQY « Dans un quartier huppé du Connecticut où il a passé ses vacances d'été, Ned Merrill (Burt Lancaster) se met en tête de rentrer chez lui à la nage, en empruntant chaque piscine se trouvant sur son chemin. Ce parcours se transforme alors pour lui en un véritable voyage initiatique fait de rencontres et d'expériences. » L’espace des piscines pouvant être défini comme des non-lieux peuvent servir d’analogies à l’espace de recherche qui sépare l’intention (construire un chemin de piscines) de la forme finale (rentrer chez soi). La fin du film nous montre que ce « chemin de piscines », au delà de sa géographie, se révèle être un chemin initiatique et mental et dont l’idée scénaristique du film se sert magistralement pour conduire le héros et le spectateur non pas vers son futur mais vers un retour sur son passé. Suite à cette projection, nous avons pensé à d’autres films utilisant la piscine comme hétérotopie comme Palombella Rosa (1989) de Nanni Moretti et Deep End (1971) de Jerzy Skolimowski. A partir de maintenant, nous allons commencer à réfléchir sur l’édition et commencer à écrire.
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